Note de Blog #1
Inondations : est-il déjà trop tard ?
Pierre Jouvet, le 31 octobre 2024
Un mois après les inondations dramatiques en Europe centrale, deux semaines après les crues catastrophiques dans le sud-est de la France, c’est désormais l’Espagne qui est touchée par des inondations meurtrières dans la région de Valence, faisant des près d’une centaine de victimes.
Au moment même où nos ambitions climatiques sont sacrifiées sur l’autel de la rigueur budgétaire, en France comme en Europe, il est grand temps de réaliser notre vulnérabilité et notre impréparation face aux conséquences du dérèglement climatique.
Dans un brouillard médiatique qui fait parfois la part belle au sensationnel et au désespoir, qu’émerge-t-il vraiment pour se préparer et mieux faire face demain aux mêmes catastrophes ? Comment comprendre notre responsabilité collective dans la situation actuelle et agir pour les années à venir ?
Le dérèglement climatique n'est pas une opinion, c'est un fait.
Même si les récupérations politiciennes sur l’écologie punitive vont bon train, les derniers climatosceptiques qui pensent vraiment ce qu’ils disent deviennent rares. L’heure n’est plus à valider scientifiquement et à convaincre mais bien à agir. Le dérèglement climatique, avec son lot de tornades, inondations, canicules, sécheresses est face à nous.
Le constat est sans appel. Dans son dernier rapport, l’Organisation des Nations unies a appelé les États à une action urgente, sous peine de voir le réchauffement mondial atteindre 3,1°C au cours du siècle. 3,1°C ! Un tel réchauffement nous ferait dépasser toute une série de points de bascule irréversibles.
La fréquence des événements qualifiés de « très graves » (au moins 10 morts ou plus de 30 millions d’euros de dommages matériels) a déjà quadruplé depuis 1997, par rapport aux 40 années précédentes. Sur les 35.000 communes que compte la France, 23.000 sont désormais déclarées à risque inondation.
Au-delà de tous les dégâts humains, ces catastrophes ont un coût considérable : 6,5 milliards d’euros en 2023, la troisième année la plus grave en termes de sinistres climatiques en France après 1999 et 2022.
Aujourd'hui, l'urgence est à l'adaptation
Face à cette réalité, qui ne relève plus des générations futures ou de contrées lointaines, mais bien d’ici et maintenant, il est urgent de se préparer : anticiper, alerter, équiper, former, protéger, aménager, adapter.
Plutôt que de brader nos ambitions climatiques et détricoter les budgets alloués à l’adaptation climatique, notre pays doit se donner réellement les moyens de faire face aux catastrophes climatiques. Il est urgent de sortir des discours creux et des effets d’annonce pour développer une culture de la gestion du risque et améliorer la résilience de nos territoires.
Comment pouvons-nous réellement croire que le gouvernement de Michel Barnier est décidé à relancer la planification écologique quand le budget qu’il présente pour 2025 prévoit de sabrer des milliards d’euros dans les programmes dédiés à la transition écologique : le Fonds Vert, Ma Prim’Rénov, le financement des collectivités territoriales, la prime à l’achat de voitures électriques…
Au contraire, pour mettre en œuvre la transition écologique sur tout notre territoire, sans laisser de citoyens sur le côté, il nous faut une réelle planification, claire, ambitieuse et financée. Or, pour planifier, il faut comprendre nos vulnérabilités.
Pourquoi ces inondations sont-elles toujours plus extrêmes ?
La question peut paraître idiote. Certes, les records de précipitations causés par le dérèglement climatique sont une partie du problème : en 48 heures, les Cévennes ont reçu entre 650 et 700 mm de précipitations les 17 et 18 octobre derniers. Du jamais vu à cet endroit.
Mais les conséquences de ces pluies extrêmes sont nettement aggravées par les pratiques d’aménagement du territoire de ces 20 dernières années ainsi que l’impréparation de notre société (qualité de l’alerte, compétences de gestion de crise, outils de protection).
L’artificialisation des sols – comprenez la disparition des espaces naturels sous le béton et le bitume – constitue un véritable boulevard pour les eaux de pluie. L’absence de haies ou d’un aménagement des terres agricoles qui permette de retenir et d’infiltrer l’eau accroît aussi le problème.
Alors, comment limiter les risques d’inondations ?
Prévenir
Les collectivités doivent s’engager dans une campagne massive de désimperméabilisation et de végétalisation des sols : remplacer les stationnements en enrobés par des parkings perméables, végétaliser les espaces publics et les toitures, renaturer les friches… En plus de mieux équilibrer le cycle de l’eau, ces aménagements amélioreront la qualité de vie (confort estival, lutte contre les ilots de chaleur) et la santé mentale des habitants.
Les agriculteurs doivent aussi être accompagnés pour revenir à des pratiques culturales pensées non pas uniquement à l’aune de l’optimisation du rendement agricole des parcelles, mais aussi comme élément majeur de l’aménagement de nos territoires et de nos paysages : plantation des haies intrachamps, techniques de « keyline design », choix des cultures… Là encore, les effets de cette mutation agricole dépassent la simple lutte contre les crues, puisqu’elle rend également plus résiliente notre agriculture en limitant le lessivage des semences, le déplacement des terres arables lors des pluies, la pollution de nos nappes par les produits phytosanitaires…
Protéger
Dans certains secteurs très urbanisés, il est malheureusement trop tard pour aménager les espaces différemment mais nous pouvons encore adapter nos réseaux d’eaux pluviales afin de protéger les citoyens et les infrastructures en cas d’inondations.
Il est impératif que l’État soutienne massivement les investissements des collectivités, simplifie les procédures administratives et renforce les moyens humains dans les services déconcentrés de l’État, qui sont devenus peau de chagrin depuis la Révision Générale des Politiques Publiques en 2007.
Alerter, adapter, développer les bons comportements
En parallèle à ces actions, il faut dès à présent une véritable montée en compétence de l’ensemble de la société (élus, professionnels, citoyens) dans la gestion des risques.
Dans ce domaine, la France n’est aujourd’hui pas prête : manque de moyens humains et matériels, manque de coordination, manque de remontées du terrain… L’information et l’organisation des secours doivent être rendus plus efficaces.
Il faut également lancer une grande campagne de formation de tous les élus locaux du territoire à la gestion des risques et des crises. Nos concitoyens doivent aussi être accompagnés pour avoir les bons réflexes et se protéger à leur niveau.
Enfin, et pour revenir au cas particulier des inondations, il faut davantage équiper et adapter nos logements pour que les conséquences des épisodes de crues soient limitées : étage refuge, surélèvement des équipements techniques, installation de dispositifs de batardeaux…
l n’est pas trop tard pour faire face aux inondations, appelées à se multiplier dans les années à venir. Pour cela, nous devrons compter sur les collectivités, qui sont un maillon central de notre réponse aux catastrophes climatiques. Cela passera donc par leur donner plus de pouvoir et non en coupant dans leur budget comme entend le faire le gouvernement.